La Poésie
Acadienne
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L'Acadie est le nom de cette
province canadienne de la façade atlantique, située à
l'Est du Québec, et qui fut fondée par les Français.
Elle correspond aujourd'hui à la Nouvelle Ecosse et au Nouveau Brunswick.
Halifax et Moncton en sont respectivement les deux villes principales.
Historiquement on doit rapeller
qu'en 1755 les 10.000 acadiens français, ayant refusé de
pretter allégeance aux Anglais, furent déportés et
s'installèrent principalement en Louisiane. On appelle cet épisode
"Le Grand Dérangement". Aujourd'hui, il y a environ 30% de francophones
en Acadie.
Dans son introduction à
l'anthologie de la Poésie Acadienne, Claude Beausoleil nous présente
ainsi cette terre de légende qui inspire les poètes:
"
Dire les lieux et les mémoires, l’intimité et la globalité
de cette part d’Amérique qui vit, aime, souffre, écrit et
rêve en français, c’est ce à quoi travaille la poésie
acadienne. Venue de l’oralité comme plusieurs poésies de
la francophonie (Québec, Afrique, Antilles, Louisiane), elle inscrit
son américanité à vif. Plurielle et rebelle, à
la fois marginale et centre éclaté, elle est étonnante
de vitalité et de trouvailles. Entre tradition et invention, elle
s’avance sans filet, débordante, imaginative, singulière
comme un boxeur dans une cathédrale. Elle ajoute sa voix
à celles de ses soeurs, française comme elles, universelle
dans son besoin viscéral de se dire au monde, elle propose un éloge
contemporain de la différence.
(...)
En Acadie, la poésie est une histoire
de territoires. Son langage porte dans ses trouées et ses affirmations,
le discours d’une réalité fuyante. Le poème devient
lieu du monde, ancrage, réel et fictif, résistance au silence
imposé de l’extérieur à ce territoire flottant, disséminé
au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Ecosse, à l’Ile-du-Prince-Edouard,
ailleurs, au coeur d’un mot englobant, nié cartographiquement mais
omniprésent affectivement : Acadie. Dans cette dérive
des référents, le poème incarne les routes possibles,
puisque, comme l’écrit Gérald Leblanc, « L’Acadie chaude
s’écarte d’un discours linéaire ».
(...)
L’Acadie n’est pas en exil de l’Europe. L’Acadie
est d’Amérique. Sa musique, ses ruptures, le disent. D’une Amérique
planant du Nord au Sud, verticale; d’Edmundston à Caraquet, de Moncton
à Lafayette, Bâton Rouge, de la Louisianne à Port-Royal,
à Grand-Pré. Dans cet espace américain uniformisé,
l’Acadie s’écrit dans un souffle français, tenace comme un
blues, une lamentation, laissant entendre sa complainte du continent.
Passé, présent, futur s’y engouffrent et s’y perdent. L’Acadie
est le seul territoire d’Amérique à demeurer un mythe. "
[Claude Beausoleil, "La Poésie Acadienne", Ed. Perce-Neige 1999]
entretien avec André
Godin,
directeur des Éditions
Perce-Neige
EXTRAITS DE "LA POÉSIE
ACADIENNE":
Raymond Guy LeBlanc
JE SUIS ACADIEN
Je jure en anglais tous mes goddams de bâtard
Et souvent les fuck it me remontent à
la gorge
Avec des Jesus Christ projetés contre
le windshield
Saignant medium-rare
Si au moins j’avais quelques tabernacles à
douze étages
Et des hosties toastées
Je saurais que je suis québécois
Et que je sais me moquer des cathédrales
de la peur
Je suis acadien je me contente d’imiter le
parvenu
Avec son Chrysler shiné et sa photo
dans les journaux
Combien de jours me faudra-t-il encore
Avant que c’te guy icitte me run over
Quand je cross la street pour me crosser dans
la chambre
Et qu’on m’enterre enfin dans un cimetière
Comme tous les autres
Au chant de « Tu retourneras en poussière
»
Et puis Marde
Qui dit que l’on ne l’est pas déjà
Je suis acadien
Ce qui signifie Multiplié fourré
dispersé acheté aliéné vendu révolté
Homme déchiré vers l’avenir
Cri de terre, 1972
Herménégilde Chiasson
ICARE
Nous avons un ami en commun.
Il vit, étanche, dans un appartement
travaillé par la suie.
Il travaille à la semaine, on dirait.
Il nous embrasse quand nous allons le visiter,
L’hiver, sur des chemins glacés.
Nous parlons de frustrations diverses.
Des raisons qui font qu’on déserte
son espace
pour aller vivre ailleurs
toute cette douleur qui nous réclame.
Comme si on réalisait subitement
l’urgence des choses et la fuite du temps.
« Qu’est-ce qui s’est passé »
qu’il n’en 6nit plus de dire.
Et nous rajoutons, conscients du poids
et de la nécessité d’alimenter
la conversation
que « l’hiver est une saison où
tout se déforme ».
Et il conclut toujours en disant de faire
attention.
Quand on s’approche du soleil, il paraît
qu’on prend feu.
Ce n’est pas si terrible qu’on veut nous le
faire croire.
OUTREMER
Je resterai avec vous jusqu’à l’heure
émouvante
où votre coeur sera devenu un continent
glacé
dans le grand moment perdu de la route.
Lorsque tout se blase et se déforme
dans le regard kodachrome des touristes.
Sur la terre où nous n’avons fait qu’aimer.
J’aurais aimé avoir tes yeux, mon père,
pour regarder la mer, pour sonder l’horizon
jusqu’en ses ineffables et tortueux refuges.
Mais tu ne m’as laissé que des routes
qui s’entremêlent dans les synapses
revêches et cravachées de ma
mémoire.
La sonde abîmée d’un voyageur
inquiet.
J’aurais aimé avoir tes yeux, ma mère,
pour me méfier,
pour regarder dans le ciel mystérieux
où se profilent les conclusions et
les indices.
J’aurais voulu avoir ta force
pour cracher sur les évêques,
sur leur manteau de dorure
et sur tous ceux qui nous ont pris au collet
dans nos sentiers chétifs et maladroits.
J’aurais voulu que ma vie soit porteuse
de l’absolue nécessité des choses
et des êtres.
De leur urgence et de leur fragilité
dans le ventre de la menace.
Et la mer est restée entre nous
comme un blanc de mémoire interminable,
une statue de sel le long de l’autoroute.
Prophéties, 1986
Dyane Léger
AVANT QUE TOUT ÉCLATE EN MORCEAUX
Avant que tout éclate en morceaux
j’aimerais écrire dans ta main
un tout petit poème
du bout du doigt.
Un tout petit poème plein de chaleur
de lait
de miel
et de lumière.
Un poème où tu voudras passer
l’hiver.
Avant que tout éclate en morceaux.
Vivre. Écrire.
Regarder la rhubarbe monter en graine.
La poussière recouvrir les meubles.
Faire le point. Poursuivre.
Tout détruire pour tout recommencer
parce que rendue là où j’en
suis
je n’aime plus tellement l’histoire anyway.
Revenir échouer
sur une plage loin de tout.
Se demander pour la millième fois
jusqu’où peut-on aller trop loin?
Comme un boxeur dans une cathédrale,
1996
Louis Comeau
AMOUR
J’ai déjà charché à te rejoindre, sans aller
plus loin que la complainte... en marchant mes mots. Mais je t’ai trouvé,
un soir, dans les viscères de la perdrix d’un ami.
J’ai déjà voulu te parler, comme à un frère
d’épouvante rencontré dans une cachette, quand le courage
était la lacheté, et que le bebelles placées par d’autres
épouvantés plus puissants, nous empêchaient de nous
envisager.
Je t’ai reconnu (à peine) quand le ciel
m’ouvrait la tête de sa fanfare.
Épeuré par l’idée
de l’infini, je t’ai rejoint dans l’écrire, dans la chaleur de la
distance apprivoisée, en te touchant l’épaule, sans péché,
comme pour toucher la pureté.
Toute l’extase de la rencontre m’épeure
et m’épeurera, par l’intensité de ta présence là,
et le sentiment précis et sécure de pouvoir y rester.
De ça je suis devenu arbre
je suis devenu table
je suis devenu oiseau
sans me faire prendre par les chasseurs.
Je suis devenu moi, dans l’illusion de t’avoir
rencontré, en supposant le contraire et en l’acceptant.
Moose Jaw, 1981
Jean-Marc Dugas
DESCRIPTION DE MONCTON PAR UN GAUCHER
journal
début juillet
Malentrump, on se ressemble on écrit
pour nous clamer
pour nous calmer.
dans cette ville sans maringouins sans marin-gouines
on
écrit parce que vivre seul n’est pas
une mince affaire ou
apprendre à vivre seul n’est pas une
mince affaire.
fin juillet
j’ai bien aimé la photo à la
une du journal Times-
Transcript intitulée « Moose
on the Loose ». on voit la
tour NBTel sous un fond bleu, la rivière
Petitcodiac et
dans le bas de la photo à droite non
à gauche un jeune
orignal pris dans les sables mouvants de la
rivière. Ce
n’est pas une image surréaliste mais
bien une image
régionaliste.
le régionalisme c’est le bout du monde
à la portée de la
main.
Notes d'un maritimer à Marie-la-Mer, 1993
Tous ces poèmes sont extraits de LA
POÉSIE ACADIENNE, Les Éditions Perce-Neige & Les Écrits
des Forges, 1999. Contact: André
Godin
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