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LETTRE DE BRAZZAVILLE
Mars 1998
par M-F, jeune comédienne et danseuse congolaise.

Ce texte se passe de tout commentaire. Nous le publions parce qu'il nous est heureusement impossible de le passer sous silence, ou plus exactement de le renvoyer au cybernéant. Si notre "virtualité électronique", notre "fraternité en ligne" ne peux influer - un beau jour - sur cette réalité là, alors autant ne plus tisser notre toile, et attendre la fin du monde. Mais nous croyons à l'amitié, à l'amour. Et nous t'aimons, M-F. Ne cesse jamais d'écrire, de vivre et de danser. CL.

« La guerre est finie dans mon pays. On n'entend plus le bruit des obus, des grenades qui explosent. Il n'y a plus de cadavres dans les rues, abandonnés, à la merci des animaux. Dieu tout puisant! Je n'aurais jamais cru qu'un chat ou qu'un chien puisse dévorer la dépouille d'un homme, pire: de son maître!

Les poissons bouffent les cadavres dans l'eau, mais un chat, un chien...On a un chat à la maison et j'avoue que je ne le supporte plus. Je le trouve bizarre. Il avait disparu pendant plusieurs jours pendant la guerre, et depuis je le trouve suspect. De plus il a maintenant tendance à mordre les gens. Je le suspecte comme je suspecte d'ailleurs tous les gens connus ou inconnus d'avoir pu commettre des crimes pendant cette sale guerre.

Vous ne pouvez pas savoir à quel point ça me révolte quand les gens (le jeunes gens surtout) de mon quartier se mettent à reparler de leurs "exploits" pendant les terribles mois de guerre que nous avons passés, en matière d'armes, de pillage, d'intimidation...Beaucoup de jeunes gens sont d'ailleurs morts, mais ceux qui ont survécu donnent presque l'impression de regretter ces moments où leurs armes les faisaient se sentir tout-puissants.

Je n'aurai jamais cru le congolais capable de toutes ces choses ignobles, monstrueuses, que nous avons vues. De vrais sauvages, de vrais sorciers. Quand je pense qu'il y a quelques années on se disait un peuple pacifique! C'est vrai, l'homme est capable du meilleur comme du pire. Et ces deux extrémités, nous en avons eu des preuves pendant la guerre. Certaines personnes ont risqué leur vie (d'autres l'ont perdue) pour des inconnus. Par contre, il y en a qui ont tué leur propre femme parce qu'elle était d'une ethnie qu'ils considéraient comme ennemie. J'ai un tonton qui a eu le culot ou l'insouciance ou je ne sais pas moi, la bêtise certainement, de me raconter comment, avec ses copains ou ses hommes, bref sa bande d'amis miliciens, ils massacraient, torturaient leurs adversaires.

Quand je pense à toutes ces choses, je me rend compte à quel point il est difficile d'aimer sans condition son prochain. Et l'unité nationale dont on parle tellement en ce moment, dans mon pays, me parait irréalisable, impossible. Les différentes ethnies se reprochent tellement de choses, de choses horribles commises à un moment ou à un autre, hier ou aujourd'hui.

Mais on vit tellement mieux quand on a décidé de dépasser, d'être au dessus de tout problème! Et je crois que c'est ce que je dois faire pour ne pas rejeter la responsabilité de la mort des membres de ma famille sur tout le monde. »

M-F, mars 98, Brazzaville, Congo.