ou pourquoi et comment la France sabote ses avant-gardes actuelles |
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Ce texte a été
écrit lors de l'été 2001, après la publication
du Rapport de M. Alain QUEMIN sur l'état de la création artistique
française vue de l'étranger.
Les grands média, qui n'avaient pas pu éviter de rendre compte de ce rapport peu flateur, n'ont pas jugé utile de publier mon témoignage et mes réflexions. J'avais donc décidé de rendre moi-même ce texte public, lorsque survinrent les événements new-yorkais du 11 septembre, aux regards desquels une réflexion sur les travers français vis à vis de l'art contemporain auraient pu paraître bien dérisoire. Avec le recul, je ne suis pas le seul à penser que les questions culturelles sont au centre des problèmes les plus graves qui agitent le monde moderne. Encore faut-il s'en appercevoir "au sommet". Encore faut-il que les dirigeants, les responsables, les élites, prennent bien la mesure de cette vérité profonde et cessent de s'agiter superficiellement sous l'effet de quelque poil à gratter ayant eu provisoirement la fortune de les atteindre. Quelques mois après le drame américain, le journal Le Monde met à la une un dessin de Plantu figurant les "twin-towers" Chirac et Jospin attaquées par l'avion-kamikaze Le Pen lors des élections présidentielles. Tout est dit en un mot: le choc, au propre comme au figuré. Une violence de plus, moins mortelle si et seulement si les démocrates se mobilisent durablement.... Se mobilisent contre quoi ? Contre un extrémiste, un rasciste, un xénophobe, certes. Mais bien plus encore contre l'IGNORANCE et la DÉRÉLICTION terribles qui ajoutent aux quelques rares suppôts du fascisme la foule égarée des gens inquiets d'un monde qu'ils ne comprennent plus, qui leur échappe, et à propos duquel les discours les plus simplificateurs sont malheureusement les bienvenus, comme une bouée de sauvetage idéologique. Au delà des analyses politiques habituelles et convenues, la montée des extrémismes en France témoigne en fait de l'échec de nos institutions à réaliser pleinement le grand programme d'éducation populaire, de progrès par la connaissance et l'ouverture au monde, qui avait été défini au 19e siècle par des Jules FERRY et des Victor HUGO. Les mea-culpa de circonstance que l'on entend ces jours-ci, fin avril début mai 2002, alors que rejailli le spectre de "la bête immonde", n'auront qu'un pitoyable effet théatral s'ils ne sont pas suivi d'une réforme intime des esprits, du haut en bas de la hiérarchie des pouvoirs. Certains ont cru que la notion de responsabilité individuelle était soluble dans la démocratie. D'autres ont abusé de leurs prérogatives pour conduire les affaires publiques dans des impasses maquillées en trompe-l'oeil imitant les voies républicaines de la Raison et de la Vertu. Les plus coupables ont crié au loup pour occuper les moutons, tandis qu'avançaient les serpents, les vautours et les chacals. Les plus coupables ont décidé que Rimbaud vivant passerait en douce la nuit à la télé, tandis que les fantômes du loft hanteraient les HLM en plein jour. Les plus coupables n'habitent pas les quartiers cubiques les niches de béton qu'ils ont fait construire au mépris des règles de toute perspective humaine et humaniste. <<Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchers capitaux.>> Une saison
en enfer, A. Rimbaud
Encore un effort, et nous y sommes presque? A vouloir minimiser l'importance de la culture, à vouloir la séquestrer au profit d'une élite qui en paye la rançon avec le bien d'autrui, à vouloir nier les artistes et ne promouvoir que les faiseurs de tours et les montreurs d'ours, ce sont les fondements de la civilisation que l'on sape, en se frottant les mains pour des bénéfices passagers dont les générations à venir payeront le prix exhorbitant. La médiocrité que je dénonce dans le texte qui suit est le signe fatal d'une arrogance ou d'un renoncement qui, un jour ou l'autre, conduisent au pire des obscurantismes. Ne rien dire, c'est déjà être complice. Parler haut, c'est peut-être se priver des faveurs hypothétiques d'un système qui aplani les angles des meilleures figures jusqu'à obtenir des cercles vicieux. Pour moi, comme pour bon nombre de poètes, le choix est fait: je suis entré en Résistance, non pas pour tirer sur l'ambulance des "officiels de la culture", mais pour tenter de les réveiller un peu, de les sortir de leurs réveries despotiques, et de les raccompagner fermement à leur vraie place: celle de serviteurs éclairés de l'Etat, c'est à dire du peuple, qui mérite dans son ensemble, créateurs y compris, les plus grands égards et les plus grandes attentions. C. Lavigne,
1er mai 2002
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Depuis quelques semaines, le monde
de l'art, les institutions et les médias de notre pays s'inquiètent
à juste titre des analyses proposées par le sociologue Alain
QUEMIN dans son rapport intitulé "Le rôle des pays prescripteurs
sur le marché de l'art contemporain", étude réalisée
à la demande du Ministère des Affaires Etrangères.
Tout le monde se doutait un peu que notre pays ne brillait plus aujourd'hui des feux culturels allumés par tant d'artistes français - de naissance, de coeur ou d'adoption -, qui ont enrichi notre vie, notre culture et notre patrimoine jusque dans les années 50 (date charnière avancée par les experts), mais personne n'avait sans doute mesuré avec autant de précision que M. QUEMIN la mise en veilleuse de nos lumières artistiques. Le premier étonnement que l'on peut avoir vis à vis de cette étude est donc relatif à sa date de publication. Pourquoi, alors que le sociologue nous dit que l'effacement de la France en matière de création artistique remonte aux années 70, pourquoi a-t-il fallu attendre 30 ans pour que nos institutions s'en émeuvent officiellement ? On peut supposer que M. QUEMIN, "continuateur des travaux de Madame Raymonde MOULIN", et ses collègues, et divers spécialistes attentifs, avaient déjà montré par le passé, dans des publications autorisées par la loi, le déclin occulte de nos Beaux-Arts...Je ne suis pas sociologue, et il appartient à cette corporation de nous dire si elle a parfois la chance d'être lue et comprise dans ses oeuvres - même quand elle souligne la fatuité et les erreurs du pouvoir. Je suis simplement artiste et organisateur de rencontres culturelles, c'est à dire un homme d'expérience et de terrain qui a le regret de vivre chaque jour, avec tant d'autres, et d'une manière plus pénétrante qu'aucune analyse, aucune théorie, la réalité fâcheuse des petits tableaux et diagrammes récemment commandés par les fonctionnaires du Quai d'Orsay. Il n'est pas du tout innocent qu'une étude universitaire échauffe maintenant des oreilles qui restaient sourdes aux doléances et protestations des citoyens les plus concernés: les artistes eux-mêmes. Pour n'avoir presque rien vu venir de ce côté là, le grand public doit s'imaginer ou bien que les créateurs sont muets, sourds et aveugles, ou bien que leur avis n'était pas assez sérieux pour être pris en compte par les "autorités" ! En fait, il s'agit d'une sorte de conspiration du silence, d'une volonté d'écarter des propos indésirables (même parfois, hélas!, dans les grands médias), d'une illustration de l'adage démocratique: "cause toujours!" - puisque nous avons la chance de ne pas vivre sous le régime totalitaire du: "ferme-là !". J'ai bien l'impression - et je ne suis pas le seul - que le rêve secret de beaucoup de nos "officiels de la culture", et aussi de nombreux marchands, serait de pouvoir bien séparer le monde de l'art de celui des artistes, de s'approprier l'univers des oeuvres en reléguant à des confins marginaux les auteurs qui ont le mauvais goût d'être encore vivants. "En culture comme en agriculture, le producteur est un emmerdeur", disent les vautours. "L'artiste ne doit pas être situé dans le milieu de l'art, mais à son extrémité, la plus lointaine possible". Malheureusement, une telle attitude entraîne plus sûrement une économie d'intelligence qu'un gain financier durable, car le mépris du producteur entraîne sa perte ou son exil, et conduit tout droit au commerce des fossiles, des antiquités et des souvenirs pour touristes. Est-ce l'ambition de notre pays ? D'une manière générale, même si l'étude proposée par M. QUEMIN s'avère indispensable, il faut bien comprendre que tant que l'on ne réfléchira officiellement QUE sur l'état du marché, la volonté ou non des gouvernements, des musées ou des collectionneurs de soutenir Pierre, Paul ou Jacques, tout en négligeant la question primordiale de la place et du statut de l'artiste actif en France (celui qui fait naître le patrimoine de demain), aucune étincelle - même de génie - ne pourra rallumer notre phare culturel. Le second étonnement vis à vis de cette étude vient du nom de son commanditaire: le Ministère des Affaires Etrangères. Les fonctionnaires du Quai d'Orsay ont pris un risque intellectuel qu'ils n'ont peut-être pas bien mesuré, et qui aurait dû être pris depuis belle lurette par leurs collègues du Ministère de la Culture...qui, eux, se sont bien gardés d'engager une étude indépendante et impartiale, dont ils pouvaient imaginer les conclusions navrantes. L'article paru dans Le Monde du 9 juin dernier précise que les enquêtes du sociologue dans l'hexagone ont porté "sur le Fonds National d'Art Contemporain, et sur les seuls 3 Fonds Régionaux d'Art Contemporain qui n'ont pas refusé de répondre ." Voilà une autre loi du silence qui pourrait faire penser à une organisation bien connue. Erreur de datation! le Ministère de la Culture est plutôt un système féodal, tenu par des roitelets, des princes et des barons qui usent quasiment de l'argent public, de l'argent de la valetaille, comme ils l'entendent et selon leur bon plaisir. Une petite bande d'initiés, d'adoubés par leurs pairs, est de toutes les commissions, de tous les expertises, de tous les choix. Qu'un artiste retienne l'attention de ces seigneuries, et tous les espoirs lui sont permis quel que soit sont talent. Qu'un autre dérange leurs petites théories personnelles sur l'histoire de l'art, et toutes les portes se ferment. Le petit problème est que ces gens ont beaucoup moins de goût que leurs illustres prédécesseurs. Sans approuver l'esprit aristocratique professé par GAUGUIN, on peut tout de même s'amuser à le citer pour mémoire d'un problème déjà ancien: <<Les grands seigneurs seuls ont protégé l'art, d'instinct, de devoir (par orgueil peut-être). N'importe ils ont fait faire de grandes et belles choses. Les rois et les papes traitaient un artiste pour ainsi dire d'égal à égal. Les démocrates, banquiers, ministres, critiques d'art prennent des airs protecteurs et ne protègent pas, marchandent comme des acheteurs de poisson à la halle. Et vous voulez qu'un artiste soit républicain!>> Les griefs de Paul GAUGUIN s'avéreraient aujourd'hui beaucoup trop limités, beaucoup trop modestes. Le plus extraordinaire au fond, est que peu de français s'en émeuvent. Sans doute nos compatriotes, victimes de la propagande institutionnelle, mais aussi - il faut malheureusement le reconnaître - de l'apathie voire de la complicité de certains artistes, nos compatriotes ont-ils été profondément intoxiqués par l'idée que le monde de l'art est un monde à part, avec ses règles imprévisibles et saugrenues qui laisse l'un dans l'ombre et la misère tandis que l'autre vend des bouts de trucs collés sur des machins pour des millions de francs à un système qui en redemande et affirme que c'est un bon placement conceptuel, esthétique et financier. Certes, mais pour qui? Le marché de l'art public (achats et commandes) est trop souvent un marché de dupes où le public se laisse duper par des incompétents en art mais experts en modes et mondanités, qui veillent surtout aux intérêts de leur chapelles et coteries. Parlant de l'action de l'AFAA, M. Olivier POIVRE D'ARVOR déclare dans le Nouvel Observateur du 7 au 13 juin: <<Nous ne nous situons pas dans la logique du marché de l'art.>> Bon, parole de haut-fonctionnaire éloigné des basses contingences matérielles, mais encore? Dans quelle logique - à coup sûr formidable - se situe donc l'AFAA ? Ce n'est certainement pas la remarque (désobligeante) de monsieur QUEMIN, dans Le Journal des Arts de cet été, qui va nous éclairer: << Il est préoccupant de constater que le soutien public à l'art français a été très accentué depuis les années 1980, ce dont il faut évidemment se réjouir, mais qu'en même temps, les divers indicateurs utilisés dans mon étude font apparaître un effritement des positions françaises sur la scène internationale de l'art. Il me semble qu'il y a aujourd'hui un hiatus entre cette intervention plus marquée des pouvoirs publics et certaines faiblesses qui apparaissent dans le rayonnement culturel international de la France, et auxquelles il faudrait désormais remédier >>. On peut déjà en déduire
que l'énergie et l'argent dépensés par nos autorités
culturelles étatiques n'ont contribués qu'à entretenir
un système autarcique, tellement satisfait de lui-même qu'il
persévère dans l'erreur comme le fameux chevalier des Monthy
Python qui perd jambes et bras dans l'allégresse; système
déconnecté à la fois et du marché et des travaux
de l'avant-garde et de l'intérêt du public.
Après des études scientifiques, je décidais de me consacrer à la poésie et aux arts plastiques. Mettant à profit mes connaissances, je définissait petit à petit, dans les années 80, le concept de robosculpture ou sculpture numérique, dont je devins l'un des pionniers avec, en France, Alexandre VITKINE, et quelques très rares confrères en Allemagne, aux USA, au Japon. En 93, avec VITKINE, nous lancions la première exposition mondiale de sculpture numérique, qui s'est tenue à l'Ecole Polytechnique, puis est devenue biennale en 1995 sous le nom d'INTERSCULPT et à lieu depuis lors dans le VIe arrondissement de Paris (IS 2001 en novembre). La sculpture numérique est une discipline neuve et novatrice, quasiment née en France, et qui rencontre un succès grandissant ... dans les pays anglo-saxons. Depuis 1988, seul puis avec l'association Ars Mathematica (fondé avec A. VITKINE), j'ai alerté les Ministères de la Culture successifs sur la nécessité de valoriser notre savoir-faire français en la matière, de créer un centre de recherche transdisciplinaire, ou même un simple atelier dans une école d'art, sans jamais obtenir aucun résultat. Les Américains se sont emparé du concept avec succès au MIT et à l'Arizona State University (PRISM Lab). Les Anglais ont voté en 1997 un fonds d'aide gouvernemental pour le développement de la "computer sculpture" (CALM project) et ont ainsi favorisé l'émergence de cette discipline dans les départements d'art de leurs universités...Pendant ce temps en France, non seulement ni Ars Mathematica ni INTERSCULPT n'ont été le moins du monde subventionnés d'un franc, mais mieux encore la DAP (Direction des Arts Plastiques) affiche la plus profond aversion pour nos travaux qui sont partout ailleurs reconnus comme exemplaires. A plusieurs reprise les responsables de ce service ont déclaré que les cybersculpteurs ne sont pas des artistes, qu' INTERSCULPT, pour parler de choses récentes, n'avait pas à être soutenu par le fonds DICREAM du CNC (fonds nouvellement lancé pour soutenir les arts numériques), car n'étant pas un projet artistique (sic) ! Sachant que notre événement rassemble des sculpteurs et des universitaires étrangers de réputation internationale, il nous est toujours "un peu difficile" de leur expliquer ce genre d'opinion à la gomme. (J'ajoute qu'avec un beau sens de l'ironie le CNC a publié dans le même temps une luxueuse plaquette institutionnelle illustrée aux pages 30-31 consacrées au soutient à la création et l'édition de contenus culturels sur les supports multimédias...illustrée de 2 images de mes cybersculptures !) On voudrait purement et simplement saboter le mouvement le plus révolutionnaire des arts électroniques, celui qui établi un pont entre le réel et le virtuel, qu'on ne pourrait s'y prendre mieux. D'ailleurs les arts électroniques eux-mêmes ont été victimes de cet esprit français pervers lors d'ISEA 2000, organisé, dévoyé et raté pour la première fois à Paris. Il ne suffit pas à nos fonctionnaires
de se ridiculiser sur le territoire national, encore leur faut-il exporter
leur méthodes arrogantes. Ma deuxième
"affaire" vaut le détour par New-York.
L'année dernière, de plus en plus décidé à me tourner vers des horizons plus accueillants, j'entreprit une sorte de tournée américaine de NY à LA en passant par La Nouvelle Orléans où se tenait le SIGGRAPH, la plus grande rencontre qui soit en matière de création assistée par ordinateur. Je n'avais pas hésité à prendre soin d'annoncer ma venue aux Conseillers Culturels des Consulats français concernés, "pour voir" - comme au poker. J'ai été d'autant mieux reçu que j'avais en face de moi un interlocuteur français atypique, c'est à dire, comme en Louisiane, issu d'une vieille famille émigrée, ou bien, plus généralement, ayant adopté un style de pensée rapide à l'américaine, et n'ayant guère intention de revenir en France. Néanmoins, quelle que puisse être la sympathie que l'on éprouve pour ces hérauts lointains de la culture française, on reste confondu devant leur ignorance de l'actualité. Ma femme et moi arrivons à La Nouvelle Orléans. Mon premier coup de fil fut pour le Conseiller Audiovisuel du Consulat, M. Adam STEG. Le Consulat est à quelques "blocks" de l'énorme Convention Center où se tient le SIGGRAPH, qui est tout sauf une manifestation discrète. Au téléphone: <<Bonjour, je m'appelle Christian LAVIGNE, un artiste français des arts électroniques, je vous ai prévenu par e-mail de ma présence au "STUDIO" du SIGGRAPH...>> Silence, puis réponse d'Adam: <<Le SIGGRAPH ?...C'est quoi?...>>. M. Adam STEG et sa collègue Mme Debbie de La HOUSSAYE sont des gens ouverts et délicieux, et moins d'une heure plus tard j'organisais une visite au STUDIO de création artistique du SIGGRAPH en usant de mes propres laisser-passer! Un monde s'ouvrait à eux. Et, ce qui les distingue nettement de nos fonctionnaires hexagonaux injoignables, blasés ou cyniques, il en furent ravis. Ayant aussi éclairé les
postes de New York et de Los Angeles sur mon domaine artistique, les Conseillers
rencontrés s'engagèrent à soutenir mes démarches
pour des expos et des conférences aux Etats-Unis. Je repartais en
France en négligeant un détail: je n'avais pas vu le Conseiller
"en chef", le grand manitou de NY, alors en vacances. Funeste erreur, crime
de lèse-majesté.
Extrait des propos de notre brillant représentant culturel aux USA: Au sujet des invitations des universités:
Au sujet du SIGGRAPH et de l'ISC: << Conscient comme vous de l'importance de la représentation française dans le domaine de la création numérique et digitale globalement regroupée sous l'appellation de nouvelles technologies, j'ai souhaité conduire une recherche en la matière pour assurer une action artistique stratégique et adaptée. Il en ressort plusieurs points : - le premier est que ni l'ISC ni le
SIGGRAPH ne sont reconnus comme des rendez-vous incontournables dans le
domaine des nouvelles technologies dans le secteur artistique. Il est vrai
que le SIGGRAPH est un lieu de rencontre important mais bien davantage
dans des secteurs plus techniques de la création que sont le graphisme
ou bien la présentation de nouveaux outils, softwares et pour la
formation à ces outils. Je me permets d'ailleurs d'attirer votre
attention sur le fait que, contrairement à ce que vous mentionnez,
la présence française est extrêmement bien assurée
en ce qui concerne ces aspects, qui sont le coeur du SIGGRAPH, par des
professeurs des universités françaises et par des représentants
d'entreprises françaises développant ces techniques.
Comme je répondais illico à cette pseudo-analyse de la situation, qui venait à l'évidence d'un personnage qui n'avait jamais daigné lui-même venir voir les événements en question, et que je le mettais en face de ses responsabilités (théoriques) de médiateur et de promoteur de l'art français, j'obtins ce complément de réponse: << En ce qui concerne votre jugement sur le SIGGRAPH, je regrette que cette analyse vous déplaise, mais, en dépit de votre acharnement sur le système français dont vous dénoncez le fonctionnement en vase clos et l'étroitesse d'esprit, si j'ai bien compris vos propos, cette analyse provient de professionnels américains (parmi lesquels les responsables des départements consacrés aux nouvelles technologies du MoMA, du Whitney Museum, du SF MoMA ainsi que d'un certain nombre de responsables de centres d'art tels que Artists Space, Thread Waxing Space, New Langton et de journalistes spécialisés). Je pense que l'unanimité de ces professionnels à propos de la partie artistique du SIGGRAPH est un élément suffisant. >> Et bien, notre Directeur des Arts Visuels à l'Ambassade de France aux USA est quant à lui un élément tout à fait insuffisant. Non seulement il est capable, pour de mauvaises raisons, de bloquer dans ce pays majeur et incontournable le développement d'une action artistique d'avant-garde initiée par des français, mais encore il ment effrontément et provoque une vague de protestation sans précédent dans la communauté américaine des arts électroniques. Car, bien entendu, je n'ai pas hésité une seconde à traduire en anglais les messages de cette "autorité", et à envoyer le tout sur le Net. Parmi les réactions les plus notables on doit citer celle de Mme Christiane Paul, Adjunct Curator of New Media Arts au Whitney Museum: << Interesting that Mr Antoine VIGNE talked to the "curators of New Technologies Departments of MoMA, Whitney Museum, SF MoMA" -- correct me if I'm wrong but while there may be "new technologies departments" at these institutions, the only individuals who have the official title of "curator of digital/new media arts" are Benjamin WEIL at SFMoma and me (I don't recall talking to Mr. VIGNE). SIGGRAPH may essentially be a "trade show" but its art gallery in recent years has been showing many of the same new media artists and works that have been part of new media exhibitions at museums (including the current BitStreams show at the Whitney) and galleries around the US and worldwide. >> Traduisons: << Il est intéressant
de noter que M. Antoine VIGNE s'est entretenu avec les " les responsables
des départements consacrés aux nouvelles technologies du
MoMA, du Whitney Museum, du SF MoMA..." – que l'on me corrige si je me
trompe, mais quoi que puissent être ces "départements des
nouvelles technologies" dans les institutions concernées, les seules
personnes qui ont le titre officiel de "curator [conservateur] of digital/new
media arts" sont Benjamin WEIL au SF Moma, et moi-même. (Je ne me
souviens pas d'avoir parlé à Monsieur VIGNE).
En ce qui concerne l'International Sculpture Conférence, autre événement "négligeable" pour notre censeur français aux USA, citons un extrait de la réaction de son président Jeff NATHANSON << I suggest you turn their [
Cultural Services of the French Ambassy ] attention to the list of presenters
and panelists assembled for our conference. We have presenters such as
John Hanhardt, senior curator of media arts at the Guggenheim, acclaimed
art historian Peter Selz, renowned artists such as Magdalena Abakanowicz,
Bill Viola, Albert Paley, and numerous others. Plus we are presenting the
Lifetime Achievement In Contemporary Sculpture Award to Nam June Paik,
and keep in mind who our other Lifetime Award winners have been: Louise
Bourgeois, Anthony Caro, John Chamberlain, Robert Rauschenberg, George
Segal, Claes Oldenburg, George Rickey, Kenneth Snelson, to name a few.
Traduction: << Je suggère
que vous attiriez l'attention des Services Culturels de l'Ambassade de
France sur la liste des conférenciers qui participent à notre
colloque. Nous avons reçu et présenté des personnalités
telles que John Hanhdart, conservateur en chef au Guggenheim, le
célèbre historien d'art Peter Selz, des artistes renommés
comme Magdalena Abakanowicz, Bill Viola, Albert Paley et de nombreux autres.
En outre, nous remettons une haute récompense, pour l'ensemble d'une
oeuvre, à un artiste contemporain vivant, aujourd'hui Nam June Paik,
hier, il faut s'en souvenir: Louise Bourgeois, Anthony Caro, John Chamberlain,
Robert Rauschenberg, George Segal, Claes Oldenburg, George Rickey, Kenneth
Snelson, pour en citer quelques uns.
Enfin, je le signale parce que c'est inédit et émouvant, à l'initiative de Bill KREYSLER, créateur d'une entreprise réputée de numérisation et de production d'art monumental, un appel à cotisation fut lancé auprès de mes confrères anglo-saxons pour me payer un billet d'avion. il était malheureusement un peu trop tard. (Pour plus d'infos, voir http://www.intersculpt.org/polemiques/isc-siggraph.htm) Bref. La situation ne peut pas être plus claire. Dans le système étatique français de la culture, un roitelet incompétent peut, même en désaccord avec ses propres collègues, nuire gravement à l'image de marque de notre pays sur la scène mondiale de l'art contemporain. Quand bien même il y aurait une sanction morale et administrative plus rapide que celle - implacable - de l'Histoire à venir, n'oublions pas que ces fonctionnaires seront au pire placés ailleurs, où le Principe de Peter se vérifiera de nouveau, avec d'autres conséquences. Devrait-on se consoler en imaginant notre Directeur des Arts Visuels déblatérant en Papouasie Nouvelle Guinée plutôt qu'à New York ? Les effets seraient peut-être moindres, mais ce serait faire peu de cas de nos amis les Papous, qui sont de fins artistes et poètes... Troisième et dernière "affaire", pour conclure, ou quand la Justice fait entendre sa voix. En matière de culture, l'intelligentsia et les autorités françaises engagent bien souvent des combats trop sélectifs, comme soigneusement choisis pour leur impact médiatique. On se souvient de l'agitation autour des problèmes créés par les municipalités d'extrême-droite. On connaît aujourd'hui l'indignation des uns et des autres devant les destructions répétées du patrimoine artistique afghan. Il est bien sûr indispensable de réagir fermement aux progrès évidents de la barbarie, mais il serait tout aussi indiqué, avec un mérite peut-être plus grand, de s'inquiéter des progrès insidieux de l'obscurantisme, même dans des coins et recoins qui "n'intéressent personne". Verdun, département 55, Meuse. L'un dira: la Grande Guerre ! L'autre dira: le Tour de France ! Mais qui saura que le maire actuel, pharaon nettement de droite, a entrepris de "restructurer" la ville, dans son fonctionnement et dans son urbanisme ? Qui se souviendra de la censure et du limogeage de l'équipe du théâtre ? Qui s'indignera de voir le budget de conservation du fond ancien d'une des Bibliothèques les plus riches de France réduit à 15.000 F par an? Qui dira que les bibliothécaires ont porté l'affaire en justice ? Et que ce n'est pas tout ? Ce n'est pas tout, entre autres, parce que je suis un artiste français vivant, pas du tout décidé à oublier les grandes valeurs humanistes de son pays, et les efforts de ses illustres confrères, Monsieur de BEAUMARCHAIS en tête, pour faire respecter les oeuvres de l'esprit et les droits de leurs auteurs. En 1992, la Ville de Verdun, alors d'une
autre tendance, me passait commande d'un ensemble de mosaïques, première
oeuvre d'art contemporain installée in situ depuis les trop fameuses
mises en place dans les années 20 d'ouvrages à thèmes
dits "monuments aux morts".
Un jour j'appris par hasard que le nouveau maire, M. Arsène LUX, ancien Préfet de Police et ancien Directeur Central de l'administration Pénitencière, avait décidé de démolir le quai pour le refaire à sa convenance. Je le rencontrai et lui faisait savoir qu'il était hors de question de détruire mon oeuvre. Peine perdue. Un an plus tard l'ordre était donné, avec l'aval de l'Architecte des Bâtiments de France, qui relève du Ministère de la Culture - le même gros Machin qui se plaint des destructions d'oeuvre d'art en Afghanistan. A l'époque ou j'avais conçu
les mosaïques, l'ABF était venu sur place, et avait déclaré
d'un air docte qu'il fallait remplacer les carreaux de verre noirs par
des carreaux...gris anthracite (!)...car nous étions dans un "périmètre
protégé". Le nouvel ABF des années 98-99 n'a pas eu
de ces subtilités, puisqu'en poste à Bar-le-Duc (50 longs
km de Verdun), il n'a pas jugé utile de se déplacer pour
venir voir à quoi pouvait bien s'appliquer l'autorisation de démolition
et de travaux qu'il signait. Depuis lors cet architecte a sans doute trouvé
un poste à Kaboul.
Le 12 décembre 2000 le Tribunal
Administratif de Nancy condamnait la municipalité de M. Arsène
LUX à 50.000F de dommages et intérêt pour atteinte
au droit au respect de l'oeuvre d'art et préjudice moral occasionné
à son auteur, ce qui représente en termes financier la
plus grosse condamnation régionale pour ce motif, et fait donc jurisprudence.
Le témoignage que je porte ici
à travers ces trois affaires navrantes n'est qu'un témoignage
parmi d'autres. La récente déclaration de M. Hubert VEDRINE
qui découvre l'eau tiède en affirmant que "La France n'est
plus à la place artistique centrale, presque dominante, qu'elle
était il y a un siècle" est à la fois un aimable euphémisme
et un rappel utile pour ceux qui s'imaginaient le contraire. Peut-on espérer
que les pouvoirs publics aillent plus loin dans leur analyse, et reconnaissent
leur grande part de responsabilité à cet égard ? Ne
serait-il pas urgent de redéfinir les relations entre les artistes
et l'Etat, les régions, les départements...?
Aujourd'hui, de hauts responsables comme Olivier POIVRE D'ARVOR ou Bruno DELAYE invoquent des problèmes budgétaires, mais, je suis navré de le dire, la politique culturelle de la France souffre aussi d'un manque de moyens...intellectuels, d'une absence remarquable de cohérence, de transparence, de remise en cause des habitudes de fonctionnement. J'ajouterai même que dans l'état actuel des mentalités de certains décideurs, augmenter les budgets serait enrichir davantage la caste des "élus", des privilégiés et des courtisans, en laissant certes aux autres un peu plus de "miettes" afin qu'ils aient la vague impression que tout va mieux. Prenons par exemple l'édifiant rapport de M. Jean-Claude RISSET de 1997 sur la convergence Arts-Science-Technologie. Encore une analyse (brillante) qui confirme ce que nous savions déjà, nous les artistes des arts numériques: le système français est totalement cloisonné, incroyablement peu transdisciplinaire. L'artiste et le chercheur ne se rencontrent pratiquement pas, ou alors au prix d'un véritable parcours du combattant, sous l'oeil mi-figue mi raisin de leurs milieux respectifs. Etc. Les recommandations de M. RISSET n'étaient pas forcément coûteuses à mettre en oeuvre pour faire évoluer la situation. Grosso modo, il s'agissait plutôt d'encourager l'instauration d'un dialogue permanent, de favoriser l'émergence de passerelles (toutes choses relativement banales et redoutablement efficaces chez nos ami anglo-saxons où la plupart des universités ont des départements d'architecture, de design, d'arts plastiques, et où les échanges entre étudiants et professionnels stimulent les esprits) . Une commission regroupant artistes, scientifiques, membres des Ministères de la Culture et de l'Enseignement avait été suggérée, si ma mémoire est bonne. Une riche idée pas chère, mais qui doit emmerder son petit monde, puisqu'on attend toujours sa mise en oeuvre! En vérité, il s'agit de réformer en profondeur le système étatique français de la culture, en allant jusqu'à imaginer, à long terme, la disparition du Ministère concerné. Que l'on garde un Ministère du Patrimoine pour les antiquités, les monuments, et les musées, parait indispensable. Mais à quoi rime un Ministère de la Culture qui joue le rôle de censeur, d'argentier partial et de cache-misère pour les artistes vivants? A quoi servent, en fait et contre l'idéal démocratique originel, ces tribus de Conseillers Culturels, de Chargés de Mission, d'Inspecteurs de la Création Artistique (sic - Artistes, faites-vous inspecter pour être sûrs de votre identité!), sinon à contenir la culture dans un domaine réservé, à maintenir une vision élitiste de l'art, à s'arroger le droit de haute et basse justice sur les créateurs, à récupérer sans vergogne les oeuvres des artistes qui n'ont aucun merci à leur rendre, à décourager le peuple d'initiatives culturelles originales, à se substituer aux véritables mécènes actuels ou potentiels ? Bien sûr, il y a des hommes admirables, ouverts et passionnés, au sein des grandes institutions publiques de la culture, mais quelle est leur marge de manoeuvre réelle lorsqu'ils tentent de faire passer une idée originale auprès de leurs collègues et leurs hiérarchies ? Et finalement, comment espérer concilier les mouvements continus de la recherche artistique avec la rigidité des systèmes administratifs, des classifications désuètes, des schémas inadaptés, des formations à la traîne ? J'ai parlé ces jours-ci à un haut responsable culturel parisien du projet IS 2001 qui est fondamentalement lié au Net...le service de cet homme (éventuellement de bonne volonté) n'a même pas de connexion! Naguère, j'ai connu une autorité du Ministère de la Coopération qui subventionnait des sites Web sans les avoir jamais vu, faute d'équipement mais pas faute d'un curieux favoritisme. On pourrait multiplier les exemples. Lorsqu'un gouvernement français aura donc véritablement l'intention d'encourager et de soutenir la création artistique sur son territoire, condition préalable à la réactivation de notre rayonnement culturel (sachant que des bons artistes sont là, parmi nous, mais survivent dans la clandestinité ou fichent le camp ailleurs), il prendra donc des mesures énergiques telles que: 1) développer le goût des arts auprès des enfants des écoles, des lycéens et des étudiants, pour en faire des amateurs éclairés, et, pour raisonner en terme de marché, des acheteurs voire des collectionneurs éventuels. Outre l'enseignement de l'histoire, de la valeur et du respect de l'art, il s'agira de multiplier les visites de musées, de galeries, d'ateliers, d'inviter les artistes et les professionnels de l'art à rencontrer le jeune public. 2) favoriser les échanges et les projets transdisciplinaire au sein des universités, créer des lieux de débat entre les artistes, les philosophes, les chercheurs et les industriels. 3) prendre des disposition fiscales fortes d'encouragement à l'achat ou à la commande d'oeuvres d'art, à la création de fondations et musées privés. 4) améliorer les conditions de vie et de travail des artistes: construire des habitations à loyer très modéré pouvant les accueillir, supprimer les taxes sur les matériaux et matériels dont ils ont l'usage, assouplir leur régime de protection sociale, etc. 5) et puisqu'il ne faut pas négliger nos centres culturels à l'étranger, qui forment "le plus grand réseau du monde", dit-on, dans ce domaine, définir au MAE une politique claire d'aide à la promotion des artistes, en prenant soin d'écouter les vrais spécialistes, c'est à dire les praticiens des disciplines concernées. En outre, dans l'autre sens, se montrer un peu plus accueillant pour les artistes étrangers qui accordent encore un peu de lustre à notre pays, au lieu de les embrouiller avec des problèmes de visa, comme je l'ai vu moi-même récemment pour des ressortissants africains. Ce ne sont là que des suggestions parmi d'autres: ce chantier de rénovation est considérable, mais il s'agit de l'entreprendre au plus vite. Contrairement à ce que laisse entendre une annonce idiote - et révélatrice du style de pensée de nos dirigeants -, spot vidéo qui passe actuellement à la télévision pour soi-disant expliquer l'Euro, les artistes d'aujourd'hui ne sont pas des pierrots lunaires "qui n'ont pas le sens des réalités". Leur but n'est pas d'échapper au marché, mais d'y rentrer, pour faire valoir leur travail et pouvoir créer et vivre dans la dignité. Lucides, après avoir connu tant de vaines promesses venues de droite ou de gauche, ils pensent maintenant que les lendemains qui chantent dans la tombe, ça leur fait un beau tibia ! L'immense majorité des artistes français ou résident en France aiment ce pays magnifique, souhaitent y travailler, et ne veulent plus entendre comme je l'ai moi-même entendu de la bouche du plus proche collaborateur de M. René Monory (alors qu'il était Président du Sénat), un quadragénaire brillant et branché: "Monsieur, ce que dont vous me parlez est passionnant. J'ai une question...qu'est-ce que vous faites encore ici ? Vous perdez votre temps et votre énergie...". Il avait eu le courage d'éviter la langue de bois, et de soutenir INTERSCULPT...mais l'amertume de son petit conseil amical alerte grandement sur l'incapacité de nos institutions à poursuivre un juste combat culturel pour la diversité, dans un siècle qui s'américanise à outrance. L'artiste francophone moderne, connecté au Net, a des collègues un peu partout sur la planète Terre, et s'exprime déjà majoritairement en anglais; Français, doit-il aussi quitter la France, changer de pays, de nationalité...pour venir un jour grossir les statistiques des gloires "américaines" du Kunst Kompass, figurer au nombre des artistes "étrangers" les plus célèbres au monde ?!? France, Phénix devenu mortel, irons-nous renaître sans toi?
Dombasle-en-Argonne,14
juillet - Paris, 1er août 2001
Christian LAVIGNE, écrivain et plasticien, co-fondateur d'ARS MATHEMATICA et d'INTERSCULPT, Président de TOILE MÉTISSE. |